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« Après moi, le déluge », disait Louis XV, pour exprimer son indifférence à ce qui pouvait se passer après sa mort ou ce que ferait son héritier du trône de France. Mais le roi n’était pas concerné par une importante fiscalité, au contraire des chefs d’entreprise d’aujourd’hui, désireux de transmettre leur société à leurs enfants dans les meilleures conditions : en payant le moins d’impôts possible.
Plus de 80% des entreprises françaises sont familiales, et leur transmission est une étape fondamentale de la vie d’une société : de nombreux repreneurs peuvent-être découragés par la fiscalité, les frais de donation et les frais de succession pouvant être très élevés. Il suffit de savoir qu’une seule entreprise familiale sur 10 est transmise en France pour bien comprendre l’ampleur du problème. Deux solutions s’offrent au patron pour céder son entreprise : la cession, c’est-à-dire la vente de son entreprise, ou la donation.
Le pacte « Dutreil » (article 787 B du CGI) permet d’effectuer la donation d’une entreprise avec un allègement fiscal conséquent : 75% de la valeur de l’entreprise est exonérée. Pour en savoir plus sur cet apparemment gros avantage au moment de reprendre l’affaire familiale, eKonomia a rencontré une spécialiste en gestion du patrimoine d’Expert & Finance, Mme Ludivine Harbourg, qui a gentiment répondu à nos questions sur le pacte Dutreil.
Le pacte Dutreil, pour qui ?
eKonomia : pouvez-vous nous donner une définition du pacte Dutreil ?
Le Pacte Dutreil est un engagement de conservation de titres de société ou d’une entreprise individuelle qui permet, sous conditions, de bénéficier d’un abattement de 75 % sur leur valeur, pour le calcul des droits dus lors d’une donation ou d’une succession. Lorsque les titres sont transmis en pleine propriété, une réduction de droits de 50 % supplémentaires est également appliquée.
eKonomia : quelles sont les entreprises concernées ?
Les entreprises concernées peuvent être des sociétés ou des entreprises individuelles. Elles doivent exercer une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.
eKonomia : dans le cas d’une entreprise familiale, avec plusieurs enfants, faut-il passer par une donation-partage ?
La donation-partage n’est pas une obligation et une donation simple est envisageable, mais elle permet de maintenir l’égalité entre les enfants en cas de décès de leur parent. Grace à la donation-partage, on ne tiendra pas compte de la valeur de cette donation ni des opérations réalisées par les enfants pour calculer la part de chacun dans la succession du défunt. Les enfants sont donc traités à égalité, sans considération des opérations qu’ils réalisent sur les titres après la donation.
eKonomia : holding et pacte Dutreil, c’est possible ?
Il est possible de conclure un Pacte Dutreil sur une société holding. Si elle est animatrice, l’engagement de conservation portera sur les titres de cette société. Pour rappel, une holding animatrice doit participer activement à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et réaliser des prestations de services administratifs, juridiques, comptables, immobiliers ou financiers à destination des sociétés du groupe.
Le pacte Dutreil peut également s’appliquer en présence d’une holding non animatrice. Dans ce cas, c’est la holding qui prendra elle-même l’engagement de conserver les titres de sa filiale.
eKonomia : Une société holding peut-elle également être utilisée dans le cas où un seul des enfants doit reprendre l’entreprise, mais qu’il n’a pas les moyens immédiats de compenser financièrement ses frères et sœurs ?
Oui. La donation de l’entreprise peut être faite en totalité à l’enfant repreneur, à charge pour lui de verser une soulte à ses frères et sœurs. S’il n’a pas la possibilité de payer la soulte dans l’immédiat, il peut apporter ses titres à une société holding qui sera chargée elle-même de rembourser la soulte.
eKonomia : le pacte Dutreil est possible pour une donation aux enfants, mais qu’en est-il d’une donation entre époux ?
Il est tout à fait possible de bénéficier de l’avantage fiscal du Pacte Dutreil lors d’une donation entre époux de leur vivant.
eKonomia : qu’est-ce qu’il faut savoir avant de faire une donation en nue-propriété sous le pacte Dutreil ?
La donation en nue-propriété permet de diminuer la valeur donnée et, par conséquent, les droits de donation. Toutefois, le donateur conserve une partie de l’entreprise et peut toujours en percevoir les revenus car il garde l’usufruit. Au décès de l’usufruitier, la pleine propriété est reconstituée, sans fiscalité, entre les mains du nu-propriétaire qui devient alors plein propriétaire des titres.
La donation de la nue-propriété permet d’appliquer l’abattement de 75 %, mais ne donne toutefois pas accès à la réduction de droits de donation de 50 %.
eKonomia : il est donc possible de faire une donation en nue-propriété de son entreprise à son fils, d’en avoir l’usufruit et de profiter du pacte Dutreil ?
Oui tout à fait. La donation en nue-propriété permet à l’usufruitier de conserver les revenus issus de la société et sa gestion, tout en anticipant sa transmission.
eKonomia : une EURL est-elle compatible avec le pacte Dutreil ?
Toutes les sociétés ou les entreprises individuelles exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole peuvent bénéficier de l’avantage fiscal lié au pacte Dutreil. Une EURL qui remplit ces conditions en fait donc partie.
Avantages du pacte Dutreil
eKonomia : est-il possible d’utiliser le pacte Dutreil pour alléger son ISF ?
Les biens professionnels sont exonérés d’ISF sous réserve que certaines conditions soient remplies. Lorsque cela n’est pas le cas, il est possible de signer un pacte Dutreil (engagement de conservation) qui permettra de bénéficier d’un abattement de 75 % sur la valeur des titres de société taxables à l’ISF. Ce document vaut également pour la transmission. Il est possible de n’en faire qu’un seul pour les deux objectifs.
eKonomia : quelles sont les conditions pour bénéficier du pacte Dutreil ?
L’avantage fiscal du pacte Dutreil nécessite de respecter certaines conditions :
Dans le cas d’une société, les associés doivent respecter un engagement de conservation de leurs titres de société. Il s’agit d’abord d’un engagement collectif pour une durée de deux ans.
Depuis 2019, le seuil de détention porte sur au moins 17% des droits financiers et 34% des droits de vote pour les entreprises non cotées. Pour les entreprises cotées, le seuil est porté à 10% des droits financiers et 20% des droits de vote.
L’engagement collectif est ensuite suivi d’un engament individuel de conservation d’au moins 34% des titres de l’entreprise durant 4 ans (20% s’il s’agit d’une entreprise cotée).
La cession d’un titre de société durant cette période remet en cause l’avantage fiscal.
Un des signataires doit par ailleurs exercer une fonction de direction pendant l’engagement collectif ainsi que pendant trois ans après la transmission des titres.
eKonomia : comment réaliser, en pratique, un pacte Dutreil ? Vers qui peut-on trouver conseil ?
Le pacte Dutreil est un document signé entre les associés. Après la transmission, il est nécessaire de prouver par écrit chaque année à l’administration fiscale la bonne conservation des titres de société. La rédaction de ces différents documents est à soigner pour que le pacte Dutreil ne puisse pas faire l’objet d’une remise en cause et nous vous recommandons de vous rapprocher d’un professionnel compétent dans ce domaine (expert-comptable, conseiller en gestion de patrimoine…).
Financer la reprise de l’entreprise familiale
Le premier poste de dépense lors de la reprise de l’entreprise de ses parents, c’est, on l’aura compris, le paiement des droits de succession ou de donation. Le Pacte Dutreil vient, malgré sa relative complexité, alléger considérablement cet impôt.
eKonomia : est-il possible d’étaler les paiements des droits de succession ? Les Impôts peuvent faire « crédit » au repreneur de l’entreprise ?
Les droits de succession ou de donation peuvent faire l’objet, sous condition, d’un paiement fractionné, c’est-à-dire étalé dans le temps. La demande doit être faite à l’administration fiscale au moment du décès ou de la donation. Ce mode de paiement est particulièrement intéressant en ce moment car le taux d’intérêt légal est très faible (0,04 %). Il va toutefois probablement faire l’objet d’une augmentation en 2015.
eKonomia : on a vu que grâce au pacte Dutreil, un abattement de 75 % est applicable sur valeur de l’entreprise imposable aux droits de donation ou de succession. Mais concrètement, comment se calcule le montant de l’impôt à payer ? Existe-t-il un barème ?
Concrètement, on applique l’abattement de 75 % sur la valeur de l’entreprise transmise. La fraction restante est imposable aux droits de donation ou de succession, après application de l’abattement personnel de 100 000 € disponible pour chaque enfant. L’imposition se fait suivant un barème par tranches allant de 5 % à 45 %.
eKonomia : Une entreprise dont la valeur est de 500 000 €, quels seront les droits de donation à payer par les deux fils repreneurs ?
Si on prend l’exemple d’une SARL évaluée à 500 000 € détenue par Monsieur X. Celui-ci souhaite transmettre ses parts à ses deux fils.
En l’absence de pacte Dutreil, chaque enfant serait imposé sur 250 000 €. Cela générerait des droits de donation de l’ordre de l’ordre de 28 000 €.
Si un engagement de conservation (pacte Dutreil) est signé, la valeur de l’entreprise bénéficie d’un abattement de 75 %. Par conséquent, avec l’abattement personnel de 100 000 € dont chaque héritier bénéficie, les droits de donation sont réduits à néant grâce au pacte Dutreil.
Comment ne pas payer d’impôts quand on reprend l’entreprise familiale
On l’a vu, le pacte Dutreil semble fait « sur mesure » pour la fille ou le fils du dirigeant qui souhaite reprendre l’affaire familiale. En répondant aux conditions exigées par le Pacte, qui somme toute ne sont pas si exceptionnelles que ça, le nouveau dirigeant peut profiter de réductions d’impôts de succession (très) conséquentes. A avoir en tête au moment de reprendre la société de papa!
Société de Conseil en Gestion de Patrimoine, Expert & finance optimise les actifs de ses clients depuis son siège social à Lyon et à travers un réseau d’agences présentes sur toute la France.
Merci à Expert & Finance d’avoir bien voulu répondre à nos questions sur ce dispositif ô combien utile au moment de transmettre son entreprise à ses enfants.